Le jour se lève sur Battambang, les sacoches allégées de tout le matériel de camping (merci Pierre et Martine) s’accrochent à nos montures. Sortie de ville, lumière douce, apparition : un petit marchand de riz propose aux passants de bigarrés cerfs-volants. 7h ! Drôle de négoce matinal !
Les moulins à riz émaillent la route. Tri, ensachage. La
nationale 5 est cryptée de menus marchés. Les vêtements flottent sur les
cintres au hasard des routes. Perdu au milieu de rien, deux tréteaux de bois et
un amas de chainse-hifi. Trouver de tout partout ou trouver surtout ce à quoi l’on
s’attend le moins.
Une succession d’attelages insolites nous font sourire. Des
scooters nous doublent, garnis de dizaines de canards cancanant dans leur
panière d’osier. Quelques cochons aussi à la renverse ficelés à l’arrière des
deux roues grognent sur le chemin de leur migration : « transhumance
ou abattoir ?
Pendouillent derrière les mobylettes aussi kyrielle de
saucisses au vent (cochons : deuxième étape : qui sait ?). Un
gai luron nous double, embardée fantaisiste d’un conducteur chaloupant sous une
impressionnante quantité de matelas.
Les pyramides roulantes de l’Asie n’auront jamais fini de
nous surprendre ! Cinq sur une mini-cylindrée ou charges incommodant la
vue semblent ne déranger quiconque.
Les rizières s’étendent à perte de vue, se partageant entre
verdure et blondeur, sèches cependant pour la majorité. Mares et fossés boueux
rassemblent nombre d’individus enfoncés à mi-corps dans les eaux brunes à la
recherche de quelques « écailleux », le casque parfois encore
cocassement arrimé à leur tête. Le pied des eaux un peu plus claires est
prétexte à suspendre hamacs ou se
détendre sous une paillotte.
Sous les toits de palme tressés, s’alignent quelques bols et
aliments, picorage collectif : habitude quotidienne ou exception
dominicale ?
8h, Le trafic s’intensifie curieusement. Sur les plateaux
tractés derrière les motoculteurs, s’entassent petits en uniforme ou ouvriers
perchés sur la jute des ballots.
Presque 100 kms encore, dépasser Sisophon, avancer, dormir.
Dans un village de sculpteurs de pierres où les bouddhas étincellent sous la
lumière du soir, posons nos sacs de couchage sur le carrelage d’un temple
ouvert aux 4 vents. Quatre du matin au pied de l’autel, commencent les mantras !
Youpi la jolie nuit !
Un long tronçon nous attend encore en ce 31 décembre. Et les
enfants de dire : c’est bizarre, on dirait la Belgique chaude. Furtif retour
quelques mois en arrière. Relief zéro, canaux. C’est vrai qu’il est un petit
air de plat pays. Aurions-nous perdu notre « Est » ? Trouverons-nous
Brugges ou Angkor à la tombée de la nuit.
Les équipes de travailleurs agricoles sont disséminés le
long des champs, apparaissent même quelques vraies machines, moissonneuses
batteuses, tracteurs. Qu’il est long ce trajet, qu’il est long. 186 kilomètres
avalés en deux jours sous les cieux de fin d’année. Il semblerait que ce soir,
n’aurons point le mollet prompt à guincher. Echouage dans une ville
méconnaissable. 600 000 lits dans un de ces confins du monde devenu pure plate-forme
touristique. Ne reconnaissons rien ! Vertigineuse mutation !
Demain sera une autre année et tout le temps pour cet
univers appréhender.