lundi 22 octobre 2012

Pékin





Les visages se sont-ils éclairés, détendus ou avons-nous simplement nos regards adoucis ?

Sourires de ci, de là ; je ne perçois plus cette hostilité, appréhendée peu encore avant notre arrivée. Comme un vieux goût tapi en bouche, de ces saveurs qui estomac ligotent et vous colle un brin la peur de retourner vers un amer ailleurs !

Erreur, erreur

Dissoutes les chocottes, pointe, immédiate la joie de revenir en un lieu qui naguère nous a, à la fois charmé et rudoyé.

Pourquoi une perception si différente aujourd’hui ?

Clémence d’une saison bien plus propice à la relâche des zygomatiques que la grisaille de l’hiver ?

Empathie vis-à-vis d’un peloton cette fois agrémenté de quatre petits moussaillons ?

Me suis questionnée. N’ai plus ressenti l’indifférence passée, comme si soudain la confrontation de nos mondes s’était évaporée, assouplie peut-être.

L’Occident est venu tremper ses pinceaux dans les artères de la capitale, pour certain meilleur, sans doute, pour quelque pire aussi.

Les gratte-ciel ont poussé le long des avenues ; à leurs pieds vivotent encore quelque dédale de ruelles, quinconces de maisonnettes plus ou moins bancales ou érodées, survivance ultime d’un univers bientôt réduit à peau de chagrin.

Jusqu’à quand pourra-t-on sillonner ces labyrinthes tapis entre les rangées de buildings, slalomer entre les triporteurs, jouer du klaxon entre charges de poireaux et fourneaux ambulants ?

Je pensais le suc de mes souvenirs dissous, et je retrouve avec plaisir les tricycles à plateaux bardés de meubles en équilibre, de hautes piles de cartons à recycler, de cages à oiseaux ou de patates douces rôtissant sous la braise d’un tonneau incandescent.

Nous imaginions effectivement la Chine des arrière-cours éteinte. La vitrine s’est totalement transformée, des milliers de pas de porte n’ont point survécu à la grande marche des bulldozers morfales, mais subsistent quelques quartiers de hutongs. Les engins n’ont de cesse d’araser, livrant bestialement familles ou vieillards isolés à la détresse de grandes tours périphériques. Expulsions à mains nues, destructions sauvages déciment les liens sociaux d’une fourmilière, insalubre peut-être mais si vivante. Quelle vie pour ces nouveaux déracinés chaque jour plus nombreux ? Pendouillent sur des lambeaux de murs voués à l’ensevelissement quelques posters et oripeaux, tandis que tessons de vaisselle jonchent le sol d’un terrain, momentanément vague devenu. En quelques semaines, c’est une palanquée d’offices qu’auront érigé les grues sur les reliquats de vies englouties,..

Ecrans géants et lumières clignotantes battent la mesure d’une capitale à l’effervescente faim de modernité.

Des heures durant, arpentons sur nos pédales les boulevards saturés de la capitale, le chaos, l’anarchie des vieux quartiers. Joie de se laisser dériver dans le fourbis citadin. Démesure des grands axes, étroitesse des chicanes.

Les heures de pointe à la tombée du jour, juchés en cordeau sur nos deux roues génèrent montée d’adrénaline et griserie inexpliquée. Les deux roues sans éclairage se chamaillent les carrefours avec les quadrupèdes impatients. Voies privées de réverbères, nous vivons, expérimentons le flot, la marée, nous fondant dans la masse indisciplinée

Pédaler dans une ville au crépuscule a quelque chose d’excitant. Allez comprendre pourquoi ! Slalom sous néon, promiscuité et poussée des coudes, audace à chaque croisement, vivre le nombre, le surnombre, une expérience nouvelle et quel contraste après le vide mongol !

J’ai cru ne rien reconnaitre, j’ai cru avoir tout perdu et je retrouve au-delà de la mutation cet exquis sentiment de familiarité.

Les petites grands-mères poussant leurs charriots de bambous bloquent encore parfois le passage aux scooters pressés, les balayeurs dépoussièrent les rues, toujours leur balai de paille à la main et leur pelle métallique en bandoulière..

Les jianbing (crêpes œuf coriandre pâte de haricot) régalent encore nos fringales matinales ;

Grand merci, ni Dior, ni Gucci, ni Cache-Cache, ni Etam n’ont écrasé de leur puissance orientale bouisbouis et gargotes sis à trois pas de leurs devantures ;

A l’université, au pied des pavillons à toits vernissés, flottent toujours les lotus. Le marché du campus n’a guère changé. Kodak et le bureau de poste sont restés plantés dans leurs sabots d’antan.

Certes, bureaux et labos oldfashion n’ont pas eux, résisté à l’appel du lifting et notre bâtiment à chambrée a du finir sa vie enseveli, à moins que de nouvelles constructions ne l’ai dérobé à notre vue.

Les miandis jaunes (petits fourgons taxis) ont, eux aussi disparu. Les vieillards promenant si délicatement leurs oiseaux sous cages ne sont plus guère que quelques unités de ci de là. Les fauteuils des barbiers ont déserté les trottoirs et les mototaxis à trois roues ont troqué leurs carrosseries ordinaires contre un bel emballage alu leur collant une allure de frigos ambulants.
Mais les bulldozers gloutons n’ont pas enterré toute la mémoire de mes 25 ans. Avais-je seulement besoin de me rassurer ou de me raccrocher à quelques fragments ?

Tant que battra encore l’âme matinale des parcs, mes yeux reconnaitront la Chine. Celle de 1996 apprivoisée lors de nos insomnies au pied des sentiers de rocaille. Ces aubes dans la brume assis sur un bout de rocher à observer les lianes de danseuses, les amoureux du tai-chi, les vieillards reclus dans leurs méditations sourdes au monde ambiant, les gymnastes âgés époustouflants de souplesse, les naïnaïs caressant les airs d’une chorégraphique gestuelle d’éventails, les jongleurs de diabolos sonores, les joueurs de Er-Hu crissant dans nos oreilles si peu familières aux orientales « dissoniques ».

J’aime la Chine et je crois que tous, membres du petit sixtette, de concert l’aimons