mercredi 1 août 2012

Bribes Baikalines


Olkhon, 21 juillet 2012
La steppe s’est enflammée, dorure crépusculaire caressant les étendues d’herbes rases. Nos bicyclettes poinçonnent l’immensité. Monter, descendre, épouser les arabesques de pentes escarpées, la terre craquelle, les vaches paissent, impassibles.
Contournons les troupeaux, traversons les hameaux , rares, si rares. Quelques maisons de bois brun aux fenêtres azurées et visages au compte-gouttes croisés. Dans leurs tanières, touristes en ouizik sont retournés, dé laissant caps et falaises pour la nuitée. A nous la belle solitude, le silence éblouissant des eaux tranquilles. Bivouac bucolique sur petite plage, douceur du bel ailleurs !

Aube trébuchante, paqueter et poursuivre ascension, souffler, pousser, trainer nos charges dans le sable, espérer la terre dure et s’enliser. Les ornières se creusent, et nos dos se fatiguent. A chaque courbe, l’espoir d’un terrain plus clément, à chaque détour, la découverte d’une réalité bien moins propice ;
Troupes découragées, retour en case départ : tant pis, tant pis !

Olkhon –Khuzir, 23 juillet 2012
Les jours s’égrènent, la brise souffle son refrain.
Devant - les enfants suspendus au fil des balançoires et l’immensité en contrebas de leurs silhouettes acrobatiques.
Jumelles en main, les grands se relaient guettant l’espérance d’un navire qui les portera sur l’autre rive du lac. Caravelle du soir, espoir  ?
J’attends, accoudée à un pupitre d’écolier, posé là sur la terre, devant l’église dominant l’horizon.
J’attends d’une attente malhabile,  instable qui tressaille du dedans. De ces temps de l’entre-deux où l’on ne sait plus trop quoi faire de soi. Partagée entre le désir de rester  et la nécessité de l’itinérance. L’impatience se glisse sous les pans de ma veste, ce besoin de mouvement, latent toujours, cette envie à nouveau de sentir le chuintement des roues sur l’asphalte brûlant. Trop de transports  en commun peut-être en ces dernières semaines, trop de kilomètres parcourus, presque 7 000 sans en ressentir  chaque secousse sous nos rayons titubants.
L’ile est certes belle, mais l’ondulation tôlée de ses chemins, les ornières de sable ou de boue inhibent passablement nos pédaliques élans.
Cap sur le nord avorté à mi-parcours -rentrés bredouilles et épuisés- incursion dans une vallée de l’est, sublime mais si pentue !
Je voudrais, je voudrais filer encore, sentir le vent en cime de falaises caressées par le couchant.
Je voudrais, je voudrais m’émerveiller encore, observant notre petite caravane de points disséminés sur la sente sinueuse des steppes assoupies.
Je voudrais, je voudrais mais la topographie de l’ile inhibe nos efforts - trop laborieux.
L’ile nous échappe, une expédition en pointillés délaissant  moult recoins inexplorés : frustration !
Incertitudes et questionnements :  une seule embarcation hebdomadaire, tirer à pile, tirer à face, 7 jours encore ou l’immédiate échappée .
La nuit s’est installée, cause de casse, les bateliers se sont retardés. Les jeune guets se sont endormis, jumelles sur le matelas, perdues dans l’obscurité. Il est une heure déjà. Pointe une lumière soudaine et vrombissante sur les obscurs flots, alors que nous ne l’attendions plus. Ferry à quai, enfants enpyjamatés, sertis de sommeil profond, trop profond.
Parti bateau, parti sans nous ! Comme une lune de décision prise sans nous ! Olkhon, nous restons !

Olkhon –Khuzir, 24 juillet 2012, 6h15
La pluie a tapoté quelques minutes sur la vitre puis s’est dissoute. Un vague ululement de chien dans le lointain. Les mouettes sont matinales en ce jour d’office.
Sur l’aire de jeux, quelques égarés roulent leurs tapis de sol, chauds encore sans doute d’une nuit face au lac. Le souffle des enfants scande le lever du jour.
Je cherche à distinguer quelque bruissement plus intense, le ressac d’une vague, la corne de brume d’un bateau. Non, un presque silence.
Des gouttelettes en rafale encore, le murmure du vent peut être, les cloches ne sourcillent point.
Il pleut sur le Baïkal silencieux.
Les vitres s’embuent tandis que le martèlement bat la toiture. Un jeune homme estivalement vêtu remonte la colline, les bras croisés et grelottants tous repliés contre lui.
Sur l’église, quelque cyrillique charabia énonce : 24 juillet, 7H30. Je guette les premiers pèlerins. Nul n’est encore  apparu derrière les bulbes bleus.
Le lac change e couleur, hésitant entre le vert et le bleu. Sous leurs matelas de fortune, étendus au-dessus de leurs têtes en guise de parapluies, quelques pieux courageux approchent .
Il est 7h30.
L’appel des litanies orthodoxes me titille mais les lacunes d’une nuit toute perforée d’insomnies me ramènent à l’horizontale.

Olkhon, 27 juillet 2012
Truck en partance pour cap au nord. Chargeons vélo-âne de provisions et nos dos de sacs rebondis. Le tout dans benne arrière, rando stop en avant-première. Ciao la frustration !
4 jours le long des falaises, écumant caps et points de vue, chatouillant plages et crapahutant à travers champs. A nos pieds fleurissent pervenches et edelweiss, ombres et lumières.
Campements délicieux, et baignades balbutiantes dans ces quelques menus quinze degrés. Ablutions sommaires et  auto- stop éphémères, une bien jolie rando !
Valait bien la peine de louper l’rafiot !

USt-Barguzin, 1er aout 2012
Sur la grève, somnolent carcasses rouillées, défunts objets flottants à l’appétit des embruns délaissés. De vieilles grues métalliques  enjambent un ponton bien branlant. La pénombre s’installe, rougeoyante au loin, irradiant quelques toits de tôle de lumières un chouïa mystère. Assis devant son cabanon,  un vieil homme à casquette surveille le nomansland d’un  œil distrait. Sous ces engins de levage ou de pesage pour le moins désuets, quelques panneaux de danger de mort chantent le couplet d’un accueil pour le moins frileux !
Ambiance docker de bout de monde. Rive est du Baïkal, cherchons refuge où bivouaquer. Sublime plage à deux doigts des marais. Dressons campement à la lueur des frontales, trois cyclos russes à nos côtés, et nos trois argentins tant adoptés. Partageons  pâtes, quignons de pain, tentes et duvets.
Sentiment doux d’étrangeté, d’un inconnu de tout repère éloigné ! Si quelques ivres endiablés et cieux chargés,  leur déveine sur nos têtes à l’aube n’avaient déversé, de quoi de mieux aurions-nous pu rêver ?
Mardi, mercredi, il pleut toujours sur notre Sibérie orientale. A quelques encablées, la péninsule de roc  toute droite et fière dans la lac se retranche dans le brouillard. Nos envies de nidation au creux de cette baie  des courants froids protégée, prennent l’eau. C’est le moins que l’on puisse dire ! Retranchés dans une petite pension, les heures s’écoulent à papoter ou cuisiner. Et les cieux bien capricieux nous susurrent qu’il serait sans doute bien mieux de quitter ce bout de terre, sous la pluie, un brin austère !
Manana sera otra dia !
Ps : l’internet sibérique se faisant bien rare et incroyablement lent, les images russes tardent à trouver leur place. Patience, patience !