Olkhon, 21 juillet 2012
La steppe s’est enflammée, dorure
crépusculaire caressant les étendues d’herbes rases. Nos bicyclettes
poinçonnent l’immensité. Monter, descendre, épouser les arabesques de pentes
escarpées, la terre craquelle, les vaches paissent, impassibles.
Contournons les troupeaux, traversons les
hameaux , rares, si rares. Quelques maisons de bois brun aux fenêtres azurées
et visages au compte-gouttes croisés. Dans leurs tanières, touristes en ouizik
sont retournés, dé laissant caps et falaises pour la nuitée. A nous la belle
solitude, le silence éblouissant des eaux tranquilles. Bivouac bucolique sur
petite plage, douceur du bel ailleurs !
Aube trébuchante, paqueter et poursuivre
ascension, souffler, pousser, trainer nos charges dans le sable, espérer la
terre dure et s’enliser. Les ornières se creusent, et nos dos se fatiguent. A
chaque courbe, l’espoir d’un terrain plus clément, à chaque détour, la
découverte d’une réalité bien moins propice ;
Troupes découragées, retour en case départ :
tant pis, tant pis !
Olkhon –Khuzir, 23 juillet 2012
Les jours s’égrènent, la brise souffle son
refrain.
Devant - les enfants suspendus au fil des
balançoires et l’immensité en contrebas de leurs silhouettes acrobatiques.
Jumelles en main, les grands se relaient
guettant l’espérance d’un navire qui les portera sur l’autre rive du lac.
Caravelle du soir, espoir ?
J’attends, accoudée à un pupitre d’écolier,
posé là sur la terre, devant l’église dominant l’horizon.
J’attends d’une attente malhabile, instable qui tressaille du dedans. De ces
temps de l’entre-deux où l’on ne sait plus trop quoi faire de soi. Partagée
entre le désir de rester et la nécessité de l’itinérance. L’impatience se
glisse sous les pans de ma veste, ce besoin de mouvement, latent toujours,
cette envie à nouveau de sentir le chuintement des roues sur l’asphalte brûlant.
Trop de transports en commun peut-être
en ces dernières semaines, trop de kilomètres parcourus, presque 7 000 sans en
ressentir chaque secousse sous nos
rayons titubants.
L’ile est certes belle, mais l’ondulation
tôlée de ses chemins, les ornières de sable ou de boue inhibent passablement
nos pédaliques élans.
Cap sur le nord avorté à mi-parcours -rentrés
bredouilles et épuisés- incursion dans une vallée de l’est, sublime mais si
pentue !
Je voudrais, je voudrais filer encore, sentir
le vent en cime de falaises caressées par le couchant.
Je voudrais, je voudrais m’émerveiller encore,
observant notre petite caravane de points disséminés sur la sente sinueuse des
steppes assoupies.
Je voudrais, je voudrais mais la topographie
de l’ile inhibe nos efforts - trop laborieux.
L’ile nous échappe, une expédition en
pointillés délaissant moult recoins
inexplorés : frustration !
Incertitudes et questionnements : une seule embarcation hebdomadaire, tirer à
pile, tirer à face, 7 jours encore ou l’immédiate échappée .
La nuit s’est installée, cause de casse, les
bateliers se sont retardés. Les jeune guets se sont endormis, jumelles sur le
matelas, perdues dans l’obscurité. Il est une heure déjà. Pointe une lumière soudaine
et vrombissante sur les obscurs flots, alors que nous ne l’attendions plus. Ferry
à quai, enfants enpyjamatés, sertis de sommeil profond, trop profond.
Parti bateau, parti sans nous ! Comme une
lune de décision prise sans nous ! Olkhon, nous restons !
Olkhon –Khuzir, 24 juillet 2012, 6h15
La pluie a tapoté quelques minutes sur la
vitre puis s’est dissoute. Un vague ululement de chien dans le lointain. Les
mouettes sont matinales en ce jour d’office.
Sur l’aire de jeux, quelques égarés roulent
leurs tapis de sol, chauds encore sans doute d’une nuit face au lac. Le souffle
des enfants scande le lever du jour.
Je cherche à distinguer quelque bruissement
plus intense, le ressac d’une vague, la corne de brume d’un bateau. Non, un
presque silence.
Des gouttelettes en rafale encore, le murmure
du vent peut être, les cloches ne sourcillent point.
Il pleut sur le Baïkal silencieux.
Les vitres s’embuent tandis que le martèlement
bat la toiture. Un jeune homme estivalement vêtu remonte la colline, les bras
croisés et grelottants tous repliés contre lui.
Sur l’église, quelque cyrillique charabia
énonce : 24 juillet, 7H30. Je guette les premiers pèlerins. Nul n’est
encore apparu derrière les bulbes bleus.
Le lac change e couleur, hésitant entre le
vert et le bleu. Sous leurs matelas de fortune, étendus au-dessus de leurs
têtes en guise de parapluies, quelques pieux courageux approchent .
Il est 7h30.
L’appel des litanies orthodoxes me titille
mais les lacunes d’une nuit toute perforée d’insomnies me ramènent à
l’horizontale.
Olkhon, 27 juillet 2012
Truck en partance pour cap au nord. Chargeons
vélo-âne de provisions et nos dos de sacs rebondis. Le tout dans benne arrière,
rando stop en avant-première. Ciao la frustration !
4 jours le long des falaises, écumant caps et
points de vue, chatouillant plages et crapahutant à travers champs. A nos pieds
fleurissent pervenches et edelweiss, ombres et lumières.
Campements délicieux, et baignades
balbutiantes dans ces quelques menus quinze degrés. Ablutions sommaires et auto- stop éphémères, une bien jolie
rando !
Valait bien la peine de louper l’rafiot !
USt-Barguzin, 1er aout 2012
Sur la grève, somnolent carcasses rouillées,
défunts objets flottants à l’appétit des embruns délaissés. De vieilles grues
métalliques enjambent un ponton bien
branlant. La pénombre s’installe, rougeoyante au loin, irradiant quelques toits
de tôle de lumières un chouïa mystère. Assis devant son cabanon, un vieil homme à casquette surveille le
nomansland d’un œil distrait. Sous ces
engins de levage ou de pesage pour le moins désuets, quelques panneaux de
danger de mort chantent le couplet d’un accueil pour le moins frileux !
Ambiance docker de bout de monde. Rive est du
Baïkal, cherchons refuge où bivouaquer. Sublime plage à deux doigts des marais.
Dressons campement à la lueur des frontales, trois cyclos russes à nos côtés,
et nos trois argentins tant adoptés. Partageons pâtes, quignons de pain, tentes et duvets.
Sentiment doux d’étrangeté, d’un inconnu de
tout repère éloigné ! Si quelques ivres endiablés et cieux chargés, leur déveine sur nos têtes à l’aube n’avaient déversé,
de quoi de mieux aurions-nous pu rêver ?
Mardi, mercredi, il pleut toujours sur notre Sibérie
orientale. A quelques encablées, la péninsule de roc toute droite et fière dans la lac se
retranche dans le brouillard. Nos envies de nidation au creux de cette baie des courants froids protégée, prennent l’eau. C’est
le moins que l’on puisse dire ! Retranchés dans une petite pension, les
heures s’écoulent à papoter ou cuisiner. Et les cieux bien capricieux nous
susurrent qu’il serait sans doute bien mieux de quitter ce bout de terre, sous
la pluie, un brin austère !
Manana sera otra dia !
Ps : l’internet sibérique se faisant bien
rare et incroyablement lent, les images russes tardent à trouver leur place.
Patience, patience !