C’est l’hiver. Les moissonneurs s’agitent dans les plaines.
La route est un long cordeau d’asphalte terne et brûlant, distillant un
épuisement infini. Camions et monotonie des étendues servent déplaisir à
souhait. 35 °. Villages trop en retrait pour se distinguer. Zénith impitoyable,
nos corps ruissellent et cramoisissent . Ne maitrisant ni la langue, ni la
géographie secrète de l’Isan pour nous perdre au détour de petits chemins non
balisés, nous n’en verrons presque rien si ce n’est cette bande grise qui met
nos nerfs en crise. Des soixantaines de kilomètres avalés, tendus, assommés par
le soleil. Sikhoraphum, Si Saket, etc… Nous souhaiterions un hiver rude, une
chute aux usuelles températures de saison, un doux 25°. Pur rêve ! Le
mercure reste haut perché sur le thermomètre. Et les serpents écrasés
s’alignent sur la route. Peu de chance de croiser un ours polaire !
Ubon Ratchathani : nuit d’orage, l’espoir d’un
rafraichissement et d’une route plus clémente. 11heures à matine. Nous revoilà
partis pour une suée, temporaire seulement.
A peine en selle, nos estomacs nous taquinent. Miam-Miam. Visite du
temple… au passage. Débauche de statues, dragons, stupas, stucs, dorures,
marbrures de toc, béton peint. Profusion désordonnée. Rajout sur rajout. Disneyland
en voisinage aurait tôt fait de se
rhabiller. Si étrange de ne rien comprendre à ce déploiement de fioritures à
nos yeux si fou, kitsch, à la limite du ridicule. Est-il une mine d’invocations
derrière chaque personnage aux airs de clown, de loup ou de dragon ? Les
codes nous manquent-ils ? Religiosité, superstition, dévotion ou réelle
foi enrubannée de mille ornements ? D’étranges incantations au microphone
résonnent comme l’invitation au chapiteau des caravanes de cirque dans nos
contrées. Des moinilllons stationnent dans la benne d’un pick-up rutilant, un
doyen attend à la porte. Quelle sera leur journée ?
L’idéal pour nous serait de ne pédaler qu’entre 6 et 9h ,
16h et 17h. La fin de journée pour peu que l’humeur s’y prête permet de
savourer ce qu’il est de beau. La lumière or intense sur les brassées de riz,
les masures de bois, la peau d’un zébu ou son reflet dans l’œil d’un
buffle !!!. Les sourires des hommes à la tête enveloppée entre chapeau et
foulard offre une compensation. Les « Sawadee » fusent. Quelques
attendris stoppent leurs véhicules et déposent à nos pieds eau fraiche et grignoteries.
Ubon dans le dos, avec soulagement retrouvons la
tranquillité des voies de campagnes. Enfin ! Fraicheur de zones boisées,
cheminons doucement jusqu’à croiser la rivière Mun. Phibun Mangsahan et puis
cette délicieuse trêve barbottante dans les marmites de Tad Ton.
Khong Chiam sera notre dernière étape thaï, jonction de la
rivière Mun et du tant attendu Mékong. Un goût étrange que cet Isan manqué,
sans carte, ni chemin anticipé. Nous fallait-il ce temps seulement pour tropiques apprivoiser et basculer dans
l’univers sud-est asiatique qui de ses degrés ne cesserait de nous
envelopper ?