Episode 1 : d’Altanbulag à Ulaan-Baatar
Le vent souffle, souffle, un vent à décorner les yaks, un vent brassant chaque nuit de tempête la toile de tente, un vent narguant nos montures peinant dans les pentes. Frissons du soir, frissons du matin, météo imprévisible nous baladant de 5 à 35 °. Les aléas du ravitaillement nous fragilisent parfois – chef de tribu inquiet pour boyaux de famille –
De col en col, égrenons les courbes de la steppe, majestueuses, lumières imprévisibles, crudité du vert matinal, dorure du crépuscule.
Chevaux en horde, moutons, chèvres, vaches et quelques autres intrus à bosses ou à longues fourrures émaillent le paysage, stationnant parfois, sereins, en milieu de notre route.
Cavaliers bottés, parés de leurs jolis dels satinés (longs manteaux fermés par un large bandeau de tissu) ou communément casquettés fendent prairies et pâturages, rassemblent troupeaux. Ils galopent le long des voies ferrées ou droit sur nous parfois, intrigués sans doute par nos engins peu enclins à toute forme d’ hennissement.
Bivouacs du soir, un peu trop souvent à l’arrachée, échouons où pouvons, en lisière de col ou à deux pas d’enclos. Bâtissons notre campement éphémère sous les yeux interloqués de nomades plus familiers de leurs rondes maisonnée que de nos guitounes rase-mottes, cuisinons en compagnie d’intriguées à cornes ou de caprines par l’odeur de notre plumage sans doute fort alléchées.
Au matin, nous parviennent thermos de koumiss (lait de jument fermenté) et crème de lait, petits pains simili beignets. Invitations dans les yourtes. Mime et conversations éphémères. Mouton écartelé au mur, viscères en marmite, laine sanguinolente à nos pieds. Un verre de vodka en guise de déjeuner ou l’art de démarrer la journée, vaillant, réchauffé.
Naturel et simplicité, manière d’être à l’image du mode de vie rudimentaire. Ni manières, ni chichis, s’assoir et partager, quitter la hutte quand bon vous semble et puis filer…
Les jours se suivent, entre rudes grimpettes et rencontres amusantes. Quelques carrosses en haut de cime nous régalent de friandises ; quelque grand-mère se hisse à bout de canne jusqu’à nous, déposant dans nos mains quelque ration de fromage puis s’en va comme vint.
L’hospitalité mongole nous régale, une sacrée leçon de vie qui contrecarre la rudesse du parcours, sous un climat en cette semaine bien frileux et venteux
Episode 2 /Ulaan Baatar
Bayanchandmani, dernier faubourg avant la petite cinquantaine qui nous mènera au centre de la capitale. Un col encore puis les abords d’une ville noyée dans son nuage de pollution. Enfilons nos mollets de courage, la ville est bel et bien là au creux. La steppe toute verte dans notre dos encore, mais n’avons d’autre choix que de plonger dans les entrailles du monstre de poussière. Trafic intense, route défoncée, doublement anarchique, 4X4, berlines et trucks se bagarrent la chaussée ou ses à-côtés. Slalom entre trous et bosses, yeux rivés au sol à fixer les bouches d’égout démunies de grilles (un plongeon dans les souterrains ulaanbaatoriens peut bien vite arriver !), une vingtaine de kms à tester trottoirs, files centrales ou latérales pour se dépêtrer au mieux, finit tout de même par nous mener au centre de la capitale. Respirons un bon coup sur la grand place sous l’œil aguerri de Gengis Khan, attirant encore à nous quelques médusés… Douce récréation de fin de journée.
Recherche de nid facile, douche et lessive, un luxe auquel nous accédons avec grande joie. Deux jours pour se remettre à flot, partir à l’assaut de nos visas chinois et ficeler la suite du programme. Ulaan Baatar n’est pas aussi vilaine que nous l’imaginions. Guère d’attrait particulier, certes, mais la clémence météo revenue nous requinque et c’est assez léger que nous nous livrons aux tâches qui nous attendent.
Episode 3 Mongolie centrale
Bagages et vélos empilés sur le balcon d’Ariuka, nous montons dans un bus pour l’Arkhangaï (450 kms à l’ouest d’Ulaan Batar). Arrivée sous orage à Tsetserleg by night. Entre flaques et absence de réverbères, mousses Henri et Anna partent en quête d’un toit tandis que le reste de la troupe marronne dans une sombre et glauque loge de gardien en compagnie de trois hommes aux visages perdus dans l’obscurité ne cessant de nous parler en mongol : attente un brin longuette. Les cieux matinaux guère plus avenants nous cantonnent à la pension, bien confortable ceci dit. Profitons d’une éclaircie pour grimper en haut de la colline et visiter le musée régional
Petit coup d’œil au temple, heures de « consult », bonzes en postes psalmodient, reçoivent « clients » et prônent recettes sortant tout de même de sous leurs drapés rouge leur portable en pleine litanie ; N’ignorons point la bestiole qui se met à sonner.
Emplettes et quête de transport, dégottons taxi sur marché pour enjamber les quelques vingt lieues de steppe qui nous séparent des sources chaudes. Bivouac paisible, feu de camp assorti de lampées locales réchauffeuses de gosier offertes par charmant compagnon autochtone. Balade, barbotage dans les eaux chaudes au pied des sapins, douce trêve qui vaut bien son déplacement. Les aigles dansent sur nos têtes, chorégraphie admirable du fond de nos 40° douillets.
Nos foulées ravigotées nous mènent sur de jolis plateaux, un papy nous remorque jusqu’au village suivant où nous dormons avant de reprendre la route de Harkhorin, halte d’une demi- journée pour visiter le temple d’Erdene Zuu à la bien belle âme. Pèlerins tournent, tournent autour des stupas, offrandes de ci, « confesses » de là.
Nous titille soudain l’envie de filer dormir dans les dunes. Tentative de stop fructueuse. Nous serons sans le savoir avant de découvrir l’étrange masse aux yeux rivés sur nos sacs, co-passagers d’un feu buffle étalé de tout son long à l’arrière du véhicule !
Les dunes se dorent la pilule, joli moiré de crépuscule, petite entracte chamelière, enfants juchés, petits si fiers. Toboggans de sable pour nuit d’oasis, à défaut de Gobi, un régal que ce charmant répit.
Episode 4 Terelj
L’automne caresse nos hauteurs mongoles. Enfilons nos pédalettes escargot. Déambulation bien tranquille le long des rivières, à califourchon parfois aussi. La Tuul Gol serpentine. Plantons, déplantons notre toile, épousons la lenteur, cherchant au creux des pistes et des méandres les meilleurs sillons pour nos armures ni étanches, ni amphibies. Relever ses manches pour porter, vive les sherpas papas, retrousser aussi ses pantalons à mi mollets, que de temps filtré au cours de ces passages à gué.
Rencontres et micro balades enfantines sur équins perchés. Décor alpestre, rochers sculptés, sept jours s’écoulent l’air de rien au chevet de ce joli feuillu panel jaune et rouille….
Partir : le temps arrive de plier bagages, de batailler avec la bureaucratie, de déposer nos vélos au frêt et de boucler ce périple mongol.
Dernières heures dans la tumulte de la capitale, le ventre un peu serré de quitter Nominh, Barsa et Ariuka, notre douce famille.
La Mongolie, peut-être plus que tout autre pays traversé jusqu'à maintenant nous aura emmené loin de nos habitudes. Chacun de nous a aimé, désaimé l'errance dans cet espace immense. Petites fragilités liées à l'appréhension des difficultés du ravitaillement, découragements parfois face aux enfilades de col se dessinant à perte de vue sous des cieux parfois peu cléments, frais et venteux.
Avons approché l'immensité, touché du doigt véritablement notre liliputienne dimension noyés au coeur de ce vide, de cette liberté sans limites, paysages sans plus de contours, de garde-fous : une sensation nouvelle, fascinante et apeurante à la fois. Etre si petit et ne pouvoir capturer de rebord à l'horizon : une expérience forte pour certains, troublante pour d'autres. L'équipage quitte l'immense, les boyaux peu contrariés en tout cas de croquer bient^t dans d'autres denrées que fromage et mouton !
Plus qu'ailleurs avons saisi la "préciosité de l'eau", et la démesure du confort dans lequel de l'autre côté, nous trempons ! Une expérience à mes yeux si forgeante !